Depuis mardi, un incendie d’une intensité exceptionnelle ravage le massif des Corbières dans le département de l’Aude. Il s’agit du plus important feu de l’été 2025 en France, avec une vitesse de propagation fulgurante et un panache de fumée visible jusqu’en Espagne. Alors que de nombreux médias insistent sur le triste bilan – hectares dévastés, habitations détruites et victimes – il convient de nuancer ce constat en soulignant l’action héroïque des sapeurs-pompiers. Grâce à la Défense de Points Sensibles (DPS), leur stratégie de protection des zones menacées, des milliers d’habitations et des centaines de sites sensibles (maisons, centres névralgiques, relais téléphoniques, etc.) ont pu être sauvés des flammes. Cet article, rédigé de manière experte mais accessible, fait le point sur la situation : bilan, moyens déployés, phénomènes météorologiques en jeu et témoignages du terrain.
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Un sinistre historique : bilan humain et dégâts matériels
L’incendie s’est déclaré brusquement le mardi 5 août, vers 16h, près de Ribaute, et a progressé à une vitesse stupéfiante d’environ 6 km/h, poussée par un vent violent et une végétation très sèche. En moins de 12 heures, le feu avait parcouru plus de 10 000 hectares, atteignant 13 000 hectares ce mercredi matin selon le SDIS de l’Aude, et même 15 000 hectares en milieu de journée. À titre de comparaison, cela équivaut à la surface totale brûlée en France durant toute l’année 2024, et plus du double de celle de 2023. Quinze communes du massif des Corbières ont été touchées par le sinistre, ce qui en fait l’un des plus grands feux de forêt de ces dernières décennies en France.
Le bilan humain est lourd. Une personne – une femme de 65 ans ayant refusé d’évacuer – a perdu la vie à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse. On déplore également neuf blessés (dont plusieurs pompiers) et une personne portée disparue. Côté destructions, au moins huit maisons ont été réduites en cendres dans divers villages, notamment à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse où le feu a traversé le bourg en laissant une cicatrice de désolation. Selon un bilan provisoire, 25 habitations au total ont été touchées par les flammes (certaines partiellement endommagées), ainsi qu’une trentaine de véhicules calcinés. Des campings entiers et plusieurs hameaux ont dû être évacués en urgence, et environ 2 500 foyers se sont retrouvés privés d’électricité. Dans les zones non évacuées, les habitants ont été priés de se confiner chez eux pour ne pas se mettre en danger.
Le caractère explosif de ce « méga-feu » a pris de court de nombreux habitants. « C’était arrivé tellement vite (…) Le feu est arrivé d’en face, il a mangé toute la colline », témoigne Jean-Loïc, habitant de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse. Ce propriétaire a tenté désespérément de défendre sa maison – où il vivait depuis 24 ans – avec un simple tuyau d’arrosage, avant de devoir fuir. En revenant, il a trouvé sa demeure entièrement consumée. « Je n’ai pas un centime, je n’ai rien, tout a cramé », déplore-t-il, encore sous le choc. Son témoignage illustre la violence inouïe de ce sinistre, qualifié de « véritable fournaise » par les secours, ainsi que la détresse des sinistrés.
Des milliers d’habitations sauvées grâce à la défense de points sensibles (DPS)
Face à un feu aussi ravageur, le travail des pompiers a permis d’éviter une catastrophe bien pire. Dès les premières heures, les soldats du feu ont déployé la stratégie de Défense de Points Sensibles (DPS), qui consiste à protéger activement les habitations, bâtiments stratégiques et infrastructures menacés par l’avancée des flammes. Concrètement, des équipes se positionnent autour des villages, des hameaux et des sites à risque pour attaquer, créer des zones tampons et stopper la progression du feu à l’approche des zones habitées. Cette tactique éprouvée a porté ses fruits de manière spectaculaire dans l’Aude, le feu continue de mettre au défi les soldats du feu.
🔥#Incendie dans l’Aude.
— Anthony Montardy (@AnthonyMontardy) August 6, 2025
Au-delà du bilan terrifiant, il faut rappeler que d’innombrables vies, habitations et infrastructures ont été sauvées. Chaque victoire sur les flammes est le fruit d’un combat acharné mené par les sapeurs-pompiers, engagés sans relâche sur le terrain.
Des milliers de maisons ont pu ainsi être préservées. Par exemple, à Bages (Aude), lors d’un incendie quelques semaines plus tôt, les pompiers ont réussi à sauver l’ensemble du village malgré des « flammes de 50 mètres » de haut autour des habitations. Une sinistrée, Mme Nathalie B., raconte que sa maison a été épargnée grâce à l’intervention des sapeurs-pompiers, qui ont défendu chaque construction menacée dans son quartier. La scène était pourtant « apocalyptique », décrit-elle : « On a eu très peur, on ne voyait plus rien… Tout était noir, la cendre tombait… ». De même, dans le hameau de Prat-de-Cest, une riveraine nommée Florence a vu la végétation brûler jusqu’à un mètre de sa demeure ; miraculeusement, la bâtisse est restée intacte “grâce aux pompiers”. « On nous a conseillé de fermer les volets et de partir, c’était déjà suffocant dehors », se souvient-elle, soulagée d’avoir pu revenir retrouver sa maison debout au milieu d’un paysage calciné.
Chaque maison sauvée l’est au prix d’un combat acharné, parfois au péril des secours eux-mêmes. Des centaines de points sensibles – qu’il s’agisse d’habitations, de fermes isolées, de relais de télécommunication, de postes électriques ou de sites industriels – ont ainsi été défendus un par un dans les 15 communes encerclées par l’incendie. Le porte-parole des pompiers, le commandant Éric Brocardi, souligne que les efforts se concentrent sur ces priorités absolues : « Notre principal ennemi, ce sont les vents capricieux », explique-t-il, mais jamais les pompiers n’abandonnent une zone habitée sans lutter jusqu’au bout. Certes, plusieurs habitations n’ont pu être sauvées, comme le déplore Jean-Loïc dans son village (« cette fois, on n’a rien sauvé du tout »). Néanmoins, l’immense majorité des maisons menacées ont échappé au brasier, grâce à l’engagement exemplaire des secours. Selon les autorités, sans ces DPS systématiques, le bilan matériel serait bien plus catastrophique. On peut affirmer que des villages entiers des Corbières doivent leur salut à ces opérations de défense rapprochée.
Des moyens de lutte et une mobilisation sans précédent
Devant l’ampleur de la catastrophe, la réponse opérationnelle a été immédiate et massive. Dès la première nuit, pas moins de 1 500 sapeurs-pompiers venus de l’Aude et de nombreux départements en renfort étaient à pied d’œuvre. Ce chiffre est rapidement monté à 2 000 pompiers mobilisés simultanément sur le terrain le lendemain, appuyés par 220 véhicules d’interventions (camions-citernes, camions feux de forêt, véhicules tout-terrain, etc.). En outre, tous les moyens aériens nationaux ont été déployés : jusqu’à neuf Canadair bombardiers d’eau ont tourné sans relâche au-dessus des Corbières, épaulés par cinq avions Dash gros porteurs et plusieurs hélicoptères bombardiers d’eau. Au lever du jour mercredi, dès 7h du matin, les rotations de canadairs ont repris intensivement, et la totalité de la flotte française dédiée aux feux de forêts a été engagée sur ce seul incendie.
Cet effort hors norme a été coordonné au plus haut niveau. Le poste de commandement opérationnel, établi à proximité du front, a accueilli la visite du Premier ministre François Bayrou ainsi que du ministre de l’Intérieur, venus soutenir les troupes sur place. Plusieurs autres ministres et élus se sont rendus dans l’Aude pour suivre l’évolution de la situation en direct. L’État-major de la Sécurité civile a activé la totalité du dispositif national d’urgence. Des colonnes de pompiers ont afflué de toute l’Occitanie, mais aussi d’Auvergne-Rhône-Alpes, de Nouvelle-Aquitaine et d’Île-de-France en renfort, témoignant d’une solidarité nationale sans faille.
Les forces de l’ordre sont également sur le pont : plus de 150 gendarmes ont été déployés pour sécuriser les zones évacuées, filtrer les axes routiers et assister les évacuations des habitants et des vacanciers. L’autoroute A9, axe vital entre Narbonne et l’Espagne, a dû être coupée dans les deux sens en raison de la proximité des flammes, provoquant d’importants détours. Plusieurs routes départementales (D900, D83, D117…) ont également été fermées pour faciliter l’accès des secours.
Malgré l’engagement massif des moyens, le feu est toujours actif et non maîtrisé. « Le combat est encore loin d’être terminé », prévenait le sous-préfet de Narbonne en milieu de journée de ce mercredi 6 août.